En des verres miroirs, obscurément: Une lecture mésocritique de l’habiter urbain dans la fiction cyberpunk (Mésalgie, tome II).

By Christophe Duret

Université de Sherbrooke

Le cyberpunk est mort en 1995, ont jadis affirmé Arthur et Marilouise Kroker, soit le jour où le film Johnny Mnemonic est sorti au cinéma. Pour eux, l’échec de cette œuvre s’explique moins par des…

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Le cyberpunk est mort en 1995, ont jadis affirmé Arthur et Marilouise Kroker, soit le jour où le film Johnny Mnemonic est sorti au cinéma. Pour eux, l’échec de cette œuvre s’explique moins par des raisons esthétiques que par l’avènement de changements culturels rapides, alors que les métaphores cyberpunk des années 1980 ne fonctionnent plus dans les années 1990. Il est vrai qu’à partir de cette époque, le numérique a pénétré toutes les facettes de notre quotidien et le fait de naviguer dans les espaces numériques est devenu une activité banale. Toutefois, la culture contemporaine n’en a pas terminé avec le cyberpunk. En la matière, les fictions produites au cours de la décennie 2010 témoignent d’un intérêt renouvelé pour ses considérations sur l’avènement d’une posthumanité, sur l’intelligence artificielle, sur le caractère vertigineux de la vie au sein de mégapoles hyper-trophiées et sur les espaces numériques. Elles témoignent également d’un bougé dans la représentation de la société contemporaine, et plus particulièrement, car c’est le sujet de cet ouvrage, dans la représentation et la simulation du milieu urbain contemporain et de son habiter. Ce sont là des signes suggérant qu’au cours de ses quatre décennies d’existence, le cyberpunk a enregistré et continue d’enregistrer en la matière des mutations dignes d’être étudiées. Cela implique la mise en texte d’une expérience du milieu urbain contemporain et de son habiter propre, qu’il s’agit de mettre au jour et que le cyberpunk, en prise sur notre époque, exacerbe pour en montrer les aspects délétères et les potentialités — désirables ou souhaitables — non exploitées.

En sus d’une verticalisation et d’un étalement croissants, les villes telles que les fictions cyberpunk nous les donnent à voir, à lire ou à jouer sont devenues, avec le passage du temps, « intelligentes ». Les technologies assurant à leurs habitants confort et sécurité se sont multipliées pour donner lieu à des « technococons », pour reprendre un néologisme d’Alain Damasio. Mais ces mêmes villes, à travers le filtre de la fiction et en fonction d’une demande croissante de prévisibilité et d’une tolérance toujours plus faible de la société face à l’incertitude, ont vu se multiplier en leur sein des dispositifs de surveillance et de prédiction emblématisés aujourd’hui davantage par les drones, les capteurs biométriques, les Big data et les traceurs que par les tours panoptiques, les caméras et les microphones miniaturisés d’autrefois, donnant lieu, dans l’exercice, à des formes de ségrégation sociospatiale et à un morcellement de l’espace public au profit d’une architecture de forteresse physique et numérique. À cette ségrégation, fruit d’une obsession sécuritaire, répond en contrepartie une autre obsession pour la vitesse et la libre circulation des biens, des personnes et de l’information, cette fois, que la ville — nœud dans un réseau économique tissé à l’échelle mondiale —, délaissant la logique des lieux en faveur d’une logique des flux, surveille et régule à l’aide d’outils nés de la cybernétique.

C’est à ces mutations du milieu et de l’habiter urbains vues au prisme du cyberpunk de la décennie 2010 que se consacre cet ouvrage dans une perspective mésocritique. Il s’agit de brosser le portrait de Cybernanthropolis, ce pendant science-fictionnel de nos villes contemporaines.

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